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Commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Mercredi 29 mai 2013

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 16

Présidence de M. Jean Grellier Président

– Table ronde avec les organisations syndicales :

− Fédération des travailleurs de la métallurgie (FTM-CGT) : M. Philippe Verbeke, direction fédérale de la CGT (filière transformation métaux, ArcelorMittal), M. Jean-Michel Boqueret, responsable syndical Constellium (filière Aluminium), M. Bertrand Gregor, responsable syndical KME (filière Cuivre), M. Philippe Bonnot, responsable syndical Aperam (filière Inox), et Mme Marie-Claire Cailletau, responsable des questions énergie à la FNME ;

− Fédération générale des mines et de la métallurgie (FGMM-CFDT) : M. Alain Larose, secrétaire national, Mme Christiane Graillot, déléguée centrale Aperam, M. Jean Luc Cure, délégué central ArcelorMittal (R&D à Maizières-lès-Metz), M. Bernard Debièvre, délégué central ArcelorMittal Fos-sur-Mer, M. Patrick Auzanneau, délégué central ArcelorMittal, Mme Christèle Touzelet, déléguée centrale CFDT (Industeel France), M. Djamel Damine, délégué syndical (Industeel Le Creusot), M. Marc Lagarde, représentant CFDT Aperam (Gueugnon) et M. Laurent Dubuis, membre titulaire du comité de groupe européen (Aperam) ;

− Syndicat National CFE-CGC Sidérurgie : M. Xavier Le Coq, secrétaire national en charge de l’Industrie, Fédération de la Métallurgie, Mme Véronique Roche, déléguée syndicale centrale et secrétaire du comité d’entreprise européen de Rio Tinto, M. Pascal Deshayes, secrétaire du CCE ArcelorMittal Atlantique et Lorraine), M. Jean-François Verdier (Constellium) et M. Sylvain Rameau, délégué syndical (Aperam Gueugnon) ;

− Fédération Force Ouvrière de la métallurgie (FO Métaux) : M. Frédéric Souillot, secrétaire fédéral FO Métaux, M. François Zarbo, représentant national ArcelorMittal, M. Walter Broccoli, secrétaire FO Florange, M. Norbert Cima, CCE ArcelorMittal Atlantique et Lorraine, et M. Frédéric Weber, élu FO (Florange) ;

– Fédération nationale CFTC des syndicats de la métallurgie et parties similaires (FM-CFTC) : M. Éric Cruchet, secrétaire général, et Mme Véronique Laffon-Rémond.

La séance est ouverte à dix heures trente.

M. le président Jean Grellier. Mesdames, Messieurs, je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Nous avons choisi d’organiser l’audition des représentants syndicaux des activités métallurgiques et sidérurgiques sous la forme d’une table ronde afin de permettre un échange plus libre.

Vos propositions sont essentielles à notre travail. En complément de vos interventions, vous pouvez nous adresser une contribution écrite qui pourra être annexée à notre rapport.

Nous avons rencontré de nombreux responsables syndicaux lors de nos déplacements en Savoie, à Dunkerque et Fos-sur-Mer et bientôt en Lorraine ainsi que dans des entreprises de sous-traitance. Nous nous intéressons à la situation des sites ArcelorMittal, et Aperam mais aussi d’autres acteurs essentiels des activités sidérurgiques et métallurgiques. Nous ne pouvons pas prétendre à l’exhaustivité mais nous souhaitons rencontrer et écouter le plus grand nombre de représentants des salariés de ces filières stratégiques.

Au sein cette commission, nous ne croyons pas au mythe de la société post-industrielle cher à certains théoriciens d’une économie moderne sans usines. Nous sommes néanmoins conscients que les activités sidérurgiques et métallurgiques ont connu depuis quarante ans d’incessantes restructurations, au gré de variations stratégiques, souvent brutales et parfois inopportunes dictées par l’évolution des marchés, et de fréquents changements d’actionnariat et de direction, l’éloignement des décideurs renforçant l’incertitude. Ces mutations ont été accentuées par la financiarisation des stratégies des entreprises et par le dumping des pays émergents contre lequel l’absence de politique industrielle européenne digne de ce nom ne permet pas de lutter !

L’Europe n’a jusqu’ici pas voulu comprendre qu’une sidérurgie forte et des activités métallurgiques innovantes conditionnent nos emplois et notre indépendance.

Certes, le commissaire européen, M. Antonio Tajani, annonce un plan européen pour l’acier dont les contours devraient être dévoilés dans les prochains jours. Nous l’entendrons, vraisemblablement le 12 juin prochain. Ce plan sera néanmoins vain s’il ne protège par l’industrie européenne au moyen de droits de douane et de normes techniques, environnementales et sociales.

À la suite des exposés liminaires de chaque organisation syndicale, notre rapporteur et les autres membres de la commission d’enquête vous poseront des questions. Au préalable, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, rien que la vérité et toute la vérité.

L’ensemble des personnes auditionnées prêtent serment.

M. Philippe Verbeke, direction fédérale CGT (filière transformation métaux, ArcelorMittal). Avant d’exposer notre analyse et nos revendications, je souhaiterais, au nom de la CGT, saluer la démarche de cette commission d’enquête parlementaire sur nos filières. La CGT a contribué à la sensibilisation qui a permis sa création, notamment après l’OPA de Mittal sur le groupe Arcelor.

Nous approuvons votre choix de consacrer vos travaux aux trois métaux majeurs que sont l’acier, le cuivre et l’aluminium car ces filières sont toutes trois essentielles pour l’industrie française et européenne.

Elles sont dotées d’atouts communs : leur utilisation dans les secteurs clés de l’industrie – transports, construction, électroménager, énergie, électricité, électronique, emballages, aéronautique, armement, télécommunications ; des processus de fabrication et des produits à haute technologie, nécessitant des compétences élevées à tous les niveaux ; la « recyclabilité », qui en fait un atout majeur pour le développement durable et l’économie circulaire.

Mais ces filières doivent aussi faire face à des défis communs : l’accès aux matières premières, la consommation d’énergie, la maîtrise des rejets dans les processus de fabrication, le maintien et le développement des outils et des compétences, les investissements et l’innovation.

Dans le domaine de l’environnement, des solutions existent, validées par les chercheurs mais victimes d’arbitrages financiers et opérationnels défavorables. Nous pensons évidemment aux projets de retraitement du C02 tels que le projet ULCOS sur le site de Florange ou bien le projet VASCO sur celui de Fos-sur-Mer.

Les trois métaux se trouvent néanmoins en concurrence auprès de certains secteurs utilisateurs, comme les transports, la construction ou l’emballage.

Le maintien des capacités de production est un sujet d’actualité brûlant pour ces filières. C’est le cas pour la sidérurgie depuis près de deux ans avec la gestion emblématique par ArcelorMittal du site de Florange. La commission, de par ses auditions dans les bassins d’emploi du groupe ArcelorMittal, est à même de prendre la mesure de l’incohérence de la politique industrielle et sociale de M. Lakshmi Mittal, ainsi que du processus rampant de délocalisation qui est à l’œuvre, non seulement en France mais aussi en Europe. Nous tenons à réaffirmer notre incompréhension et notre colère face au projet industriel incohérent de la société ArcelorMittal Atlantique et Lorraine, dont l’État s’est rendu complice en acceptant une transaction avec M. Mittal, qui condamne la filière liquide de Florange et une partie du site de Basse-Indre en Loire-Atlantique.

Nous affirmons haut et fort que la nouvelle organisation mise en place est un non- sens industriel et économique, comme l’ont confirmé les faits et un nouveau rapport du cabinet Secafi. Ce projet risque à terme de déstructurer l’ensemble des sites du groupe en France.

Une telle situation est insoutenable alors que les propositions alternatives existent, non seulement à Florange, mais aussi à Gandrange, à Fos-sur-Mer chez Ascometal, dans les aciers inoxydables sur les sites d’Isbergues et de Firminy du groupe Aperam. Je rappelle que le site de Firminy subit des suppressions d’emplois et est menacé de fermeture alors qu’il est leader sur les aciers inoxydables extra-minces.

La sidérurgie est rongée par des exigences de rentabilité démesurées et les appétits financiers, qui condamnent les investissements, la recherche et développement (R&D) et le renouvellement des compétences.

Dès lors, la question de la gouvernance est posée. L’intervention de l’État est nécessaire dans un secteur reconnu par tous comme stratégique pour l’industrie française et européenne et pour les pièces dites de « sécurité » qu’il fournit dans les domaines du transport, de l’énergie, du bâtiment.

Le succès du lobbying patronal auprès du commissaire européen M. Antonio Tajani a permis à ce dernier d’affirmer le 16 mai à Bruxelles, l’existence de surcapacités structurelles dans l’acier européen, encourageant ainsi de nouvelles fermetures. Cette orientation est très inquiétante car elle ouvre la porte aux importations d’acier en Europe, avec toutes les conséquences imaginables pour notre industrie. La CGT réaffirme, comme les experts des cabinets Secafi et Syndex et comme le rapport de M. Pascal Faure, qu’il n’y a pas de surcapacité structurelle de production d’acier en France et en Europe. Les Etats généraux de l’industrie, organisés par le gouvernement précédent, avaient évalué à 20 millions de tonnes annuelles le besoin de production d’acier en France. La production est actuellement d’environ 16 millions !

D’ailleurs, pour s’en convaincre, il suffit de constater les incohérences dans les flux de métal au sein d’ArcelorMittal Atlantique et Lorraine et sur le bassin méditerranéen, dépendant de plusieurs fournisseurs, ce qui occasionne retards et ruptures d’approvisionnement, au détriment du client. Vous avez pris connaissance de cette désorganisation lors de vos visites à Dunkerque et Fos-sur-Mer.

Concernant la filière cuivre, l’avenir du groupe KME pose question : la fermeture qui menace la fonderie du site de Givet est qualifiée de véritable contresens économique par le cabinet Syndex. Là aussi, c’est la finance qui gouverne, avec des économies à court terme pour financer un LBO de 80 millions d’euros – (leverage buy-out ; rachat d’entreprise par le recours à un important endettement bancaire), au détriment de l’emploi mais aussi des investissements et de la R&D.

Comment peut-on laisser faire, alors que cette filière cuivre peut être une référence en termes d’économie circulaire, avec une « recyclabilité » parfaite ? Comment peut-on laisser faire, alors que la filière est porteuse de développements et de débouchés ? C’est ce que démontre la stratégie du groupe allemand Aurubis, dont dépendent déjà en partie les groupes Griset, Wieland et KME, en approvisionnant des demi-produits, à savoir billettes et lingots.

Une fois encore, la question de la gouvernance est posée, le groupe Aurubis bénéficiant de l’influence du Land de Basse-Saxe au sein de son actionnariat.

L’intervention des pouvoirs publics est nécessaire, au plan national comme régional, pour structurer la filière de collecte et de recyclage du cuivre et favoriser une stratégie de long terme sur cette filière, dont les débouchés sont larges, avec des clientèles souvent de proximité. Là aussi, les propositions alternatives des salariés existent.

Dans le secteur de l’aluminium, la CGT salue la prise de conscience du Gouvernement qui vient de lancer une vaste réflexion sur le développement de la filière aluminium en France. Pourtant, les inquiétudes demeurent, comme en témoignent deux exemples.

Le site de Saint-Jean-de-Maurienne n’aurait plus sa place au sein du groupe Rio Tinto au seul prétexte d’une exigence de rentabilité démesurée. Comme Lakshmi. Mittal récemment à l’Assemblée nationale, Rio Tinto exerce un chantage sur le coût de l’énergie.

L’usine serait sur le point d’être cédée mais sans le laboratoire de recherche, véritable fleuron du savoir-faire et de l’excellence technologique française depuis plus d’un siècle. Rappelons que dans la dernière décennie, 80 % des nouvelles usines en Europe et sur le continent américain utilisent la technologie brevetée à Saint-Jean-de-Maurienne. Le maintien de la R&D dans la fabrication de l’aluminium en France est aujourd’hui menacé. La R&D doit absolument rester adossée aux deux derniers sites de production d’aluminium en France, Saint-Jean-de-Maurienne et Dunkerque.

Pour Constellium, nouveau groupe de transformation de l’aluminium en France issu de l’éclatement de Péchiney, la récente augmentation de la part de l’État dans le capital (12,5 %), via le Fonds stratégique d’investissement (FSI), doit permettre l’arrêt des restructurations et ventes d’usines comme celles en cours de Ham et Saint-Florentin ou celles à venir de Sabart et Ussel. Le dépeçage du système productif français entraîne là aussi un affaiblissement du support R&D mondialement reconnu du centre de recherche de Voreppe.

Des décisions rapides s’imposent. Va-t-on laisser la finance déstructurer ces atouts productifs et humains ou intervenir vigoureusement compte tenu une nouvelle fois de l’importance de cette filière dans notre industrie, dans des secteurs comme l’aéronautique, les transports, le bâtiment ou les emballages ?

La CGT propose un nouveau contrat social pour relancer les filières. Nous souhaitons une production répondant davantage aux besoins. Nous subissons une politique de la marge au détriment des volumes. Il faut inverser ce processus. ArcelorMittal et Constellium ont perdu des parts de marché importantes du fait de cette stratégie.

Acier, aluminium et cuivre correspondent à des besoins extrêmement variés. Il n’y a donc pas de surcapacités – prétexte à délocalisations – mais une adéquation aux besoins à développer.

Nous demandons une réorientation des aides publiques. Les groupes de nos filières ont largement bénéficié ces dernières années de la générosité de l’État, au travers du crédit d’impôt recherche, des aides au chômage partiel et à la formation, des exonérations de cotisations, de la suppression de la taxe professionnelle, etc.

La CGT exige que ces aides soient transparentes et que l’État impose des contreparties aux entreprises en termes d’investissements industriels et humains et de politique sociale responsable. La CGT demande aussi le remboursement des aides publiques en cas de destruction d’emplois.

La CGT propose la création d’un pôle financier public reposant sur la mise en réseau d’institutions financières de statut public ou semi public exerçant des missions d’intérêt général. Ce pôle doit être placé sous le contrôle public et social. Ces financements seraient octroyés sur des critères d’emplois et d’efficacité économique et sociale.

La CGT demande également à l’État une réflexion sur les divers mécanismes d’intervention dans la stratégie menée dans ces filières d’intérêt national.

Nous avons ainsi proposé pour Florange, et plus largement pour ArcelorMittal, une prise de participation de l’État, au moins à hauteur d’une minorité de blocage. La possibilité de réquisition d’un site rentable menacé de fermeture doit aussi être examinée afin de peser sur la gouvernance.

Dans la perspective actuelle de reconquête de notre industrie, il est incohérent de laisser le contrôle total de ces secteurs clés à des familles ou des fonds financiers qui exigent une rentabilité à deux chiffres.

À titre d’exemple, selon une simulation pour ArcelorMittal, le contrôle public par une minorité de blocage à hauteur de 35% du capital coûterait au niveau européen 6,7 milliards d’euros à la valeur actuelle du titre. La part de la France serait dans cette hypothèse de 1,47 milliard d’euros.

La prise de participation doit intervenir au niveau européen afin de prendre en compte les interdépendances entre sites, comme c’est le cas dans la filière inox avec les sites français dépendants des aciéries belges.

Alors que la stratégie financière prend le pas sur une véritable politique industrielle, il y a urgence à donner de nouveaux droits aux salariés. Nous pensons à la présence de représentants élus par les salariés aux conseils d’administration et de surveillance, à de nouvelles prérogatives pour les comités d’entreprises, ou encore à la mise en place de comités inter-entreprises afin d’asseoir à la même table donneurs d’ordres et sous-traitants pour travailler sur la stratégie et partager les informations. Enfin, certaines activités sous-traitées qui peuvent être considérées comme faisant partie du cœur de métier pourraient être réintégrées chez le donneur d’ordre.

L’emploi doit être au cœur de notre développement.

Le vieillissement de nos effectifs est très préoccupant. À titre d’exemple, 25 % des salariés de la sidérurgie partiront en retraite d’ici à 2015, ce qui représente plus de 11 000 emplois en France. Nous avons besoin de relancer l’embauche. Une négociation sur la pénibilité doit également s’engager.

La politique salariale est défaillante. La CGT revendique un salaire minimum de 1 700 euros brut. Le relèvement des salaires est incontournable pour renforcer l’attractivité de nos métiers.

Les conditions de travail doivent être améliorées. Nous avons constaté ces dernières années les dérives de la polyvalence à outrance, la flexibilité néfaste pour la santé et la sécurité, les mobilités contraintes, la pression constante aux objectifs sans les moyens appropriés, le travail dans l’urgence faute de stock. Pour la CGT, être compétitif, c’est d’abord pouvoir exercer son travail dans de bonnes conditions, avec les moyens appropriés, afin de proposer un produit réussi du premier coup et dans un délai court pour le client.

Nous réaffirmons notre désaccord complet avec l’Accord national interprofessionnel (ANI) sur la prétendue sécurisation de l’emploi qui ne pourra qu’aggraver les conditions de travail de notre profession et du même coup en réduire l’attractivité.

Enfin, les besoins en formation sont criants de même que les besoins en investissements, en innovation et en R&D. ArcelorMittal est dernier de la classe européenne en la matière

En conclusion, il y a aujourd’hui le discours sur la place de l’industrie et la nécessité de son redressement, et il y a les actes.

Les trois filières sont menacées d’extinction à cause des politiques menées par des opérateurs privés. Nous considérons que l’État a dès lors un devoir d’intervention et d’ingérence dans la stratégie.

Nous considérons que c’est un devoir de légiférer, pour bloquer toute tentative de liquider des installations ou des équipements viables, mais aussi de donner davantage de pouvoir aux salariés.

Nous attendons par conséquent de cette enquête parlementaire, non pas simplement un état des lieux actualisé de nos filières, mais des pistes d’intervention, des propositions de lois permettant de reprendre rapidement le contrôle de ces filières qui sont la base de toute notre industrie.

Rapidement, c’est bien le mot, parce que les témoignages que nous vous avons apportés ici et dans nos régions démontrent le degré d’urgence, sous peine d’atteindre un point de non-retour.

M. Alain Larose, secrétaire national de la Fédération générale des mines et de la métallurgie (FGMM-CFDT). La CFDT-métallurgie salue le travail de la commission d’enquête parlementaire et espère que celui-ci s’articulera avec l’installation du comité stratégique de filière des industries extractives et de premières transformations afin d’aboutir à des actions concrètes visant à soutenir les secteurs des matériaux de base.

La production de matériaux de base notamment l’acier, l’aluminium et le cuivre est une industrie stratégique. Elle est nécessaire pour que la France conserve une base industrielle forte. Ces matériaux sont en effet utilisés pour la réalisation de très nombreux produits, qu’ils soient industriels ou grand public, et concernent la plupart des secteurs industriels. Le ministère du redressement productif, en installant le comité stratégique de filière, a montré qu’il était soucieux du devenir de cette industrie.

En raison de ses incidences sur une large partie de notre industrie, la production de matériaux de base doit faire l’objet d’une une politique industrielle nationale. Plusieurs outils doivent être développés à cet effet. Afin de permettre une analyse stratégique des secteurs de l’acier, de l’aluminium et du cuivre, il nous semble nécessaire d’établir un état des lieux des activités mais aussi des emplois et compétences. En complément, il nous paraît indispensable de recenser les investissements réalisés et les accords de sécurisation de l’emploi négociés afin de suivre les stratégies déployées.

Le comité stratégique de filière pourrait être le lieu d’analyse et de partage de cette politique industrielle.

La France s’est engagée à diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050. La transition vers une industrie « bas carbone » est donc un enjeu majeur qui mêle efficience énergétique, efficience matière et baisse des émissions de gaz à effet de serre. En outre, dès lors que l’augmentation du coût de l’électricité en France est inéluctable, la question de l’efficience énergétique s’impose pour l’avenir et la compétitivité des industries électro-intensives. L’utilisation des déchets et leur récupération sont à cet égard prometteuses à condition cependant de mieux structurer la filière.

Pour parvenir à une industrie bas carbone et plus compétitive, le maintien d’une R&D forte est essentiel. Les investissements dans la recherche sur des produits à haute valeur ajoutée ou sur des produits de niche et dans la R&D « process » doivent être développés.

La R&D des industries des matériaux de base devrait aussi tirer profit des ressources présentes dans les territoires – pôles de compétitivité, université, laboratoires de recherche – et nouer avec eux des partenariats pour gagner en efficacité.

L’efficience énergétique nécessite aussi de mobiliser des moyens en faveur de la formation. En effet, l’efficience énergétique ne se décrète pas mais suppose un changement du comportement et des habitudes qui ne peut s’opérer que par un accompagnement.

Les industries des matériaux de base souffrent d’une image de vieille industrie et connaissent des difficultés de recrutement, notamment chez les jeunes, malgré de forts besoins en la matière. L’observatoire des métiers de la métallurgie estime ainsi entre 115 000 et 128 000 par an les besoins à l’horizon de 2020. L’amélioration de l’attractivité des métiers de ces secteurs est donc un défi à relever. Le travail de promotion des métiers de la métallurgie réalisé par la branche n’y suffit pas.

La rémunération est un des déterminants de l’attractivité, tout comme la qualité de vie au travail, le déroulement de carrière et les perspectives d’évolution ainsi que la sécurisation des parcours professionnels. Le comité stratégique de filière doit s’intéresser à ces questions.

Les industries des métaux sont confrontées aux défis du renouvellement des compétences et de leur évolution, du fait, d’une part, du départ en retraite d’une quantité importante de salariés dans les prochaines années et, d’autre part, des exigences de la transition vers une industrie bas-carbone. Ce double défi appelle un développement de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Les compétences clés et les compétences transversales, utiles pour la sécurisation des parcours professionnels des salariés, doivent être identifiées. La formation initiale et la formation continue doivent évoluer pour permettre aux salariés de connaître un déroulement de carrière satisfaisant et pour maintenir un bon niveau d’employabilité.

Il est important que les industries des matériaux de base s’appuient sur les travaux du comité stratégique de filière sur ces sujets.

S’agissant de l’acier, les capacités de production en Europe ont été ajustées par des fermetures de sites et l’arrêt temporaire d’installations ou le ralentissement de la production. Il y a lieu aujourd’hui de s’inquiéter pour la pérennité des installations arrêtées ou dont la production a été réduite. Il n’y a pas de surcapacité. Lorsque la consommation d’acier redémarrera, l’Europe ne pourra pas faire face à la demande et deviendra importatrice. Dans ces conditions, de nouvelles restructurations ne peuvent être envisagées sans fragiliser la production européenne et française d’acier. Par ailleurs, l’ajustement des capacités au point bas de la consommation d’acier supprime les marges d’adaptation aux aléas et incidents de production. C’est ainsi que les sites de Dunkerque et de Gand se trouvent aujourd’hui en difficulté pour approvisionner le site de Florange.

La CFDT identifie une série d’enjeux spécifiques à l’acier. En matière de production, ce sont le coût et l’accès aux matières premières, la consommation d’énergie dont la quantité par tonne produite doit être réduite, le développement du haut-fourneau à gaz recyclé, le projet LIS. La CFDT revendique l’installation d’un démonstrateur industriel à Florange. Pour la transformation d’aciers, il s’agit d’accroître la valeur ajoutée des produits et de développer la production d’acier à haute dureté en France.

Dans ces deux domaines, la pérennité en France de la R&D et donc du centre ArcelorMittal de Maizières-lès-Metz doit être garantie. La R&D « process », qui connaît une baisse d’investissement, doit être relancée.

La fonderie d’acier doit faire face à la croissance des réseaux d’eau. Enfin, pour la production et la transformation d’aciers inox se posent plusieurs questions : le prix bas de l’inox et l’anémie du marché européen, la qualification croissante de la main-d’œuvre, la pérennisation en France de la R&D et donc du site d’Isbergues, l’acquisition du site de Terni (qui pourrait avoir des conséquences sur les activités en France).

Plus généralement, les métiers de l’acier sont confrontés à un fort renouvellement générationnel. Or plusieurs années sont nécessaires pour former un professionnel. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences doit être développée et s’inscrire dans le cadre d’un dialogue social loyal et de bon niveau. Les travaux qui vont être réalisés par le comité stratégique de filière devraient favoriser une meilleure prise en charge de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences par les entreprises.

Dans le secteur de l’aluminium, la France doit conserver une position de leader sur le segment de la R&D technologies qui est un atout pour le développement d’une industrie bas carbone. L’investissement dans l’efficience énergétique est la clé de l’avenir pour l’électrolyse ; il permettra de conserver une production de proximité indispensable pour sécuriser l’approvisionnement des sites de transformation. Parallèlement, le réseau de récupération du métal doit être renforcé. Dans cette perspective, le maintien du site de Saint-Jean-de-Maurienne, qui est aussi la seule source d’approvisionnement en Europe de fil d’aluminium de qualité électrique pour les fabricants de câbles, est capital.

Pour la production d’aluminium, les enjeux sont l’efficience énergétique, la consommation d’énergie par tonne produite qui doit être réduite, le maintien en France du site de Saint-Jean-de-Maurienne, et la possibilité de combiner la production d’aluminium primaire et secondaire. Pour la transformation d’aluminium, ce sont le coût de la métallurgie secondaire, l’utilisation de davantage de déchets comme matière première, la pérennisation de la R&D en France et donc du site de Voreppe.

La filière du cuivre, matière robuste et recyclable à l’infini, est l’exemple par excellence de l’économie circulaire, pilier du développement durable. La hausse des cours du cuivre est une contrainte mais aussi une opportunité pour cette filière, les progrès des techniques d’affinage permettant de réaliser un « résultat métal » substantiel dans les fonderies. Il n’y a de surcapacités sur les demi-produits cuivreux en Europe que si l’on considère les capacités théoriques d’un parc de machines en manque d’investissements et si l’on ignore des besoins potentiels importants – installations antimicrobiennes à l’hôpital, mise aux normes HQE des bâtiments publics.

L’industrie de la fonte et de la première transformation du cuivre et du laiton est menacée de disparition. Cela aurait pour conséquences des difficultés d’approvisionnement en aval pour les clients – notamment le secteur du bâtiment dépendant des tubes de cuivre produit par le site de Givet du groupe KME menacé de fermeture ; la mise en péril en amont du secteur du recyclage des métaux, alors que les réserves de déchets cuivreux qui existent peu en Asie sont un atout pour la France et l’Europe contre les délocalisations et face à la spéculation sur ce métal ; la disparition d’opportunités de développement sur des produits innovants en rapport avec les propriétés du cuivre – applications médicales, aéronautique ; la perte de compétences métallurgiques difficiles à transmettre et à reconstituer.

Le groupe KME se désengage aujourd’hui de la France : le site de Givet dans les Ardennes, employant 320 salariés, est menacé de fermeture. Or, l’évolution des besoins des clients – petits lots et délais courts – et les exigences d’une économie bas carbone rendent nécessaire la fonte et la transformation de proximité. Par ailleurs, KME représente 950 emplois sur les 2 500 de la métallurgie du cuivre et de ses alliages en France.

Le maintien en France d’une filière cuivre et laiton passe par le regroupement d’une ou plusieurs sociétés du recyclage et de la métallurgie du cuivre. L’émergence dans la filière d’un acteur ayant la taille nécessaire pour ces activités à forte intensité capitalistique permettrait aussi de structurer le marché du recyclage des métaux ferreux et non ferreux en France. Dans cette perspective, le maintien du site de Givet est incontournable.

En conclusion, l’accord national interprofessionnel de janvier 2013 et sa transcription législative offrent aux représentants des salariés dans les entreprises de nouvelles opportunités pour décrypter les stratégies à l’œuvre. Il s’agit notamment du développement des administrateurs salariés et de la consultation annuelle sur les orientations stratégiques accompagnée d’un droit à l’expertise pour l’examen de celles-ci. Par ailleurs, le plan de formation de l’entreprise devra être le lien avec les orientations stratégiques. Enfin, le partage de l’information entre donneur d’ordre et sous-traitants doit permettre le déploiement de la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences.

Ces nouveaux moyens, en devenir, auront un effet concret sur les activités industrielles des matériaux de base si une politique industrielle voit le jour. Le comité stratégique de filière doit être le lieu où cette politique s’élabore.

M. Xavier Le Coq, secrétaire national en charge de l’industrie, Fédération de la métallurgie, syndicat national CFE-CGC sidérurgie. Nous avons rédigé un document de synthèse que nous vous transmettrons.

Nous avons identifié, comme nos collègues, des problèmes transversaux auxquels sont confrontées les industries des trois métaux.

En premier lieu, les contraintes environnementales européennes – les quotas de CO2 et la réglementation « REACH ». Si leur bien-fondé ne peut être contesté, il est regrettable que l’Europe n’impose pas leur respect aux importations concurrentes de l’industrie européenne. Je sais que le Commissaire européen, M. Antonio Tajani, en a conscience pour l’acier mais les autres métaux peuvent aussi être concernés. La politique aux frontières européennes doit être réajustée.

En deuxième lieu, le coût de l’énergie va inéluctablement augmenter en France et dans les autres pays. Si le prix du kilowatt est inférieur en France à celui de l’Allemagne, les gros consommateurs allemands paient moins cher que les Français. Chacun sait que l’État et les Länder « subventionnent » le coût de l’énergie afin de favoriser les industries nationales. Si cet avantage permet à nos voisins de prendre des parts de marchés, l’industrie française va s’effondrer.

En troisième lieu, la structure de l’actionnariat est source de difficultés. Il faut en la matière s’intéresser aux petits groupes, nombreux dans la filière du cuivre. Outre KME, d’autres entreprises sont en danger : le groupe Griset a ainsi été cédé pour un euro symbolique à un fonds d’investissement allemand qui n’investit pas : l’usine vit sur le stock de cuivre évalué à 35 millions d’euros dont elle disposait au moment de la vente. Il faut prendre garde à ce que les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ne passent pas sous le contrôle de fonds d’investissement dont la stratégie de retour sur investissement à court terme n’est pas compatible avec le temps long de l’industrie métallurgique. Ascometal, qui appartient au fonds Appolo Global Management, serait également dans une situation difficile car les exigences de rentabilité des investisseurs ne sont pas satisfaites.

L’innovation et la R&D sont indispensables pour que l’industrie française dans son ensemble se positionne sur des produits à forte valeur ajoutée. À cet égard, il faut faciliter l’accès des PME et ETI au crédit d’impôt recherche.

Le recyclage est un domaine d’avenir : la moitié de l’aluminium recyclé en France est fondu hors de nos frontières. La France dispose de gisements de matières premières secondaires. Il faut donc veiller à structurer ces filières.

La métallurgie et la sidérurgie sont confrontées à un papy boom. Il convient d’anticiper les évolutions et de rendre attractive les filières en s’appuyant notamment sur le tutorat et les contrats de génération. Il faut aussi que les formations proposées par l’enseignement supérieur soient adaptées aux besoins de l’industrie. Aujourd’hui, certains postes ne sont pas pourvus faute de candidats qualifiés. Il faut améliorer l’image de l’industrie et tordre le cou aux clichés en montrant nos belles usines.

L’installation du treizième comité stratégique de filière du Conseil national de l’industrie que les organisations syndicales réclament de longue date suscite de fortes attentes de développements concrets. Il y a beaucoup à faire. Des groupes de travail ont été créés sur l’aluminium pour répondre à l’urgence. Dans la période de récession que connaît l’Union européenne, l’industrie de première transformation souffre beaucoup car elle dépend fortement de la relance de l’économie.

L’avenir de la filière du cuivre est préoccupant qu’il s’agisse de la fonderie de Givet dont le groupe KME se désengage ou du groupe Griset. Il faut être attentif aux décisions des fonds d’investissement – dont le seul objectif est la rentabilité à court terme – qui pourraient s’avérer dramatiques pour la filière.

Les fonderies d’acier ou de fonte sont souvent des PME qui travaillent pour le secteur automobile ou aéronautique. Il faut favoriser l’innovation, à laquelle le centre technique des fonderies concourt, par le biais du crédit d’impôt recherche. Or, le Conseil national de l’industrie qui analyse actuellement les aides publiques à l’industrie s’interroge sur le financement des centres techniques des fonderies. Il faut être prudent avec ces outils mutualisés qui permettent aux PME d’accéder à l’innovation. Leur remise en cause fragiliserait ces entreprises.

Mme Véronique Roche, déléguée syndicale centrale et secrétaire du comité d’entreprise européen de Rio Tinto. La France est le berceau de l’aluminium. Le groupe Pechiney a développé tous les brevets qui sont aujourd’hui utilisés dans le monde.

La filière aluminium est divisée en plusieurs métiers dont les problématiques sont distinctes : la chimie minérale pour la bauxite et l’alumine ; l’électrochimie pour l’électrolyse ; la fonderie, le laminage, le filage et la forge pour la transformation ; le métier de négoce, de logistique et de tri pour le recyclage.

L’augmentation croissante des besoins en aluminium en France et en Europe garantit l’avenir de la filière.

La France ne possède plus qu’un seul site d’alumine, celui de Gardanne, qui pose des problèmes au regard de l’environnement.

S’agissant du métal primaire, il reste deux électrolyses en France. La rentabilité de l’électrolyse, qu’exige un grand groupe aux objectifs uniquement financiers n’est pas soutenable en France en raison des coûts énergétiques et de la réglementation européenne « REACH ». Dans les usines de Saint-Jean-de-Maurienne et de Dunkerque, des contrats énergétiques arrivent à échéance. Rio Tinto ne cache pas que sans solution, les sites seront fermés. Le groupe a les moyens d’assumer ses obligations en matière de revitalisation environnementale mais les emplois seront sacrifiés.

Dans la filière aluminium, il faut demander des comptes à ceux qui ont beaucoup reçu : Pechiney, Alcan, Rio Tinto. L’argent qu’ils ont conservé doit être investi. Il doit être investi à Saint-Jean-de-Maurienne, où les conditions de travail ne respectent pas les normes de sécurité.

M. Jean-François Verdier (CFE-CGC-Constellium). Le marché de la transformation de l’aluminium en France repose sur deux laminoirs, l’un en Alsace, l’autre en Auvergne. Il est très orienté vers les besoins des clients que sont Airbus et l’automobile.

Ces métiers de la transformation de l’aluminium s’appuient sur une R&D très importante pour apporter des solutions aux clients. À titre d’exemple, Constellium a développé les habillages « Airware » qui sont très intéressants pour la nouvelle génération d’Airbus.

Il faut maintenir les activités industrielles en aval permettant aux laminoirs de fonctionner de manière pérenne et développer la R&D.

Le métier de la transformation de l’aluminium consiste à apporter une valeur ajoutée à un métal de base grâce aux laminoirs. Une grande part de la rentabilité repose sur des sources de métal à faible coût. L’absence de garantie sur la pérennité des électrolyses fragilise à cet égard le secteur de la transformation. Il faut absolument les maintenir.

En matière de recyclage, la marge est importante. Seulement 43 % des 1,2 million de tonnes d’aluminium utilisées est issu du recyclage. Le reste est transformé à partir de métal neuf, provenant pour moitié de l’électrolyse française et pour moitié de lingots de l’étranger. Les déchets des industries, des consommateurs et des casses automobile et aéronautique constituent une manne importante. La France est en retard dans le recyclage de ces déchets.

Moyennant de faibles capitaux et de la R&D, il est possible de créer des emplois et de pérenniser nos sources d’aluminium et notre industrie de transformation.

M. Xavier Le Coq : La sidérurgie en Europe va mal, ArcelorMittal mais aussi Tata Steel et ThyssenKrupp restructurent. Ce secteur a besoin d’être soutenu.

En France, la stratégie d’ArcelorMittal en matière de R&D n’est pas claire : la direction reconnaît sa nécessité mais dans le même temps diminue le budget du centre de Maizières-lès-Metz. Nous attendons des éclaircissements sur ce point. Sans R&D, nous ne pourrons plus nous distinguer de nos concurrents hors d’Europe.

M. Sylvain Rameau, délégué syndical (Aperam Gueugnon). La situation de l’inox en Europe a rapidement évolué : les importations asiatiques représentent aujourd’hui 25 % du marché européen grâce au delta sur la matière première, en particulier le nickel, qu’elles proposent. Les Chinois ont ainsi développé un nouveau procédé d’élaboration très polluant qui permet d’abaisser les coûts de production ; le delta est de 200 euros par tonne, soit 10 % du prix de vente final. C’est énorme.

Aperam est candidat au rachat de l’usine de Terni cédée par Outokumpu. Deux scénarios sont possibles : si Aperam n’achète pas, cela pèsera sur son avenir ; si Aperam achète, cela ne sera pas sans conséquence sur les sites belge et français du groupe puisque l’organisation et la synergie entre les différents sites devront être repensées.

M. Frédéric Souillot, secrétaire fédéral FO Métaux. Si nous sommes satisfaits de la création de votre commission d’enquête, nous regrettons les raisons qui vous y ont incités. Je veux parler de l’accord que le Gouvernement a signé avec ArcelorMittal que nous dénonçons et combattons toujours. Cet accord est sans intérêt et voué à l’échec sur le plan industriel ou économique, les experts l’ont confirmé. Nous fondons de grands espoirs sur votre commission d’enquête pour éviter d’aller droit dans le mur.

La France disposait dans les secteurs de l’acier et de l’aluminium de champions qu’elle a laissé partir. Ces entreprises ont été pillées grâce aux subsides de l’État par le fonds Apollo, Rio Tinto ou ArcelorMittal

Vous avez raison, la sidérurgie n’est pas une vieille industrie mais une industrie qui a une histoire. Nous le répétons depuis des années, cette industrie de l’amont est stratégique. Si elle n’est pas sauvegardée, c’est l’indépendance industrielle de la France qui est en jeu.

Nous saluons la création du comité stratégique de filière que nous avons réclamé mais nous aurions préféré que les industries extractives n’en fassent pas partie car nous craignons de voir les problématiques de nos filières diluées dans l’ensemble.

Nous vous remettrons un livre blanc intitulé « Pour la défense de l’industrie et comment réindustrialiser la France » qui résume les revendications de FO.

FO ne croit pas que l’Accord national interprofessionnel (ANI) de janvier dernier permettra de créer des emplois ou de sauver ceux qui sont en danger. C’est la raison pour laquelle nous n’en sommes pas signataires.

M. Walter Broccoli, secrétaire FO Florange. Je suis heureux de vous faire partager les sentiments de salariés encore engagés dans la lutte et les négociations sociales.

Un constat : c’est fini ! Les hauts fourneaux de Florange sont définitivement hors service ; ils ne redémarreront pas. Le projet LIS et l’implantation d’un démonstrateur évoquée par certains ne créera pas d’emploi et, en tout état de cause, ne concernera pas l’acier.

Je vous livre le point de vue d’un simple syndicaliste sur la situation de la sidérurgie. ArcelorMittal ce sont trois usines sidérurgiques françaises, deux depuis que Florange est devenue une usine métallurgique.

Le plan industriel de M. Mittal détruit l’usine de Basse-Indre et menace ses 550 emplois ainsi que ce qui reste de l’usine de Florange. Les incohérences sont nombreuses et mettent en péril les usines. L’exemple du transfert des bobines d’acier jusqu’à Basse-Indre est édifiant. Le plan impose de déplacer 1 800 tonnes de bobines par jour au mépris des problèmes de transport et de qualité alors même que cette quantité correspond au minimum vital pour le fonctionnement de l’usine de Basse-Indre.

Le patron du site de Florange, M. Pierre-Henri Orsoni, qui est directeur général d’ ArcelorMittal Atlantique et Lorraine nous a expliqué que si le plan ne pouvait pas être appliqué, il ferait machine arrière en juillet 2015 : une incohérence de plus, mais je pourrais vous en citer beaucoup.

Contrairement aux apparences, l’usine de Fos-sur-Mer est aussi en danger parce qu’elle est mise en concurrence avec des usines espagnoles où les coûts sont inférieurs de 10 %. La délocalisation de la production est en cours. L’usine de Fos-sur-Mer ne peut pas être bénéficiaire si elle ne produit pas quatre millions de tonnes par an. Or, elle n’y parvient pas aujourd’hui.

La situation ne dépend que d’une seule personne, M. Mittal, qui met le bazar et tout le monde le laisse faire ! Il vient à l’Assemblée nationale donner un cours d’économie dans lequel il vante le coût du travail en Chine à trois euros de l’heure. C’est inacceptable ! Le Gouvernement avait la possibilité d’intervenir, il ne l’a pas fait. Tant pis ! Nous avons tourné la page. Mais aujourd’hui, il faut penser aux autres usines sidérurgiques françaises qui sont en péril. Il faut agir sinon nous le regretterons demain.

La seule solution pour sauvegarder un semblant d’industrie française consiste à fermer les frontières européennes. Chacun en convient. Quelle que soit la stratégie retenue, sans protection douanière permettant de freiner les importations – chinoises, russes et coréennes –, l’industrie est condamnée. Pour la première fois l’année dernière, grâce à M. Mittal, la France a importé de l’acier de Russie. Personne ne s’en émeut mais ce n’est qu’un début !

La fameuse « loi Hollande » ou « loi Florange » protégeant les sites rentables doit être votée. Florange a toujours été rentable mais une usine qui ne fonctionne pas ne peut pas faire de bénéfices ! Il faut poursuivre les discussions avec les organisations syndicales sur ce texte car certains points ne sont pas satisfaisants.

La R&D est très importante. Le financement du centre de recherche d’ArcelorMittal a été divisé par deux. Quinze millions ont été octroyés à ArcelorMittal au titre du projet LIS qui ne sera pas créateur d’emplois pour la sidérurgie : il s’agit encore d’un cadeau pour M. Mittal. Je comprends qu’il faille aider la recherche fondamentale mais je ne crois pas au projet LIS. Le projet ULCOS était viable, nous y travaillions depuis des années et pourtant il a été retiré du jour au lendemain.

En matière d’emploi, en réponse au papy boom, il faut embaucher et inciter les jeunes à venir travailler dans ce secteur. Certains le souhaitent déjà mais ne peuvent pas y entrer. Ce problème mérite d’être étudié.

M. Frédéric Weber, élu FO Florange. Le comité stratégique de filière ou votre commission d’enquête sont des outils indispensables pour essayer de trouver des solutions. Malheureusement, le temps des entreprises n’est pas celui de l’analyse et des groupes de travail. Un groupe de travail peut ainsi perdre sa raison d’être entre le moment de sa création et celui de ses conclusions. Les entreprises n’ont pas de stratégie à long terme. Les décisions de fermeture d’usines peuvent intervenir très rapidement.

Il faut contraindre les entreprises bénéficiaires des aides publiques à présenter des plans d’affaires, ou à tout le moins, à discuter au sein de l’entreprise de l’avenir des sites afin de donner une visibilité.

Il ne faut pas se laisser gagner par l’aboulie : des actions fortes doivent ressortir du travail d’analyse.

La Banque publique d’investissement, la BPI,, dont on a dit que la vocation ne sera pas de soutenir les grands groupes, doit être attentive aux sous-traitants qui représentent un tiers des personnes travaillant sur des sites industriels majeurs. Il ne faut pas exclure ces entreprises par principe au motif qu’elles sont déjà dans le giron des grands groupes.

L’image des métiers de l’industrie s’est malheureusement dégradée. Nous prenons notre part de responsabilité car les conflits sociaux ne sont pas de nature à encourager les jeunes mais ces conflits ne sont pas de notre fait. Le rectorat et les collectivités territoriales doivent travailler dans chaque territoire pour développer l’attractivité et la connaissance des filières mais aussi mettre en place des formations innovantes.

Il n’y a pas d’avenir sans R&D. En la matière, la confiance n’exclut pas le contrôle. ULCOS a longtemps fait figure de chant des sirènes puis il a été remplacé par ULCOS 2 et maintenant LIS. Je comprends le volontarisme de certains élus qui cherchent à se rattacher à la branche. L’État est partenaire de ce dernier projet qui relève de la recherche fondamentale et non de la R&D. Il serait dommage que la France finance le projet de recherche aujourd’hui et que ses éventuelles applications industrielles soient demain réalisées hors de nos frontières. L’accord conclu entre l’État et ArcelorMittal devrait contenir une clause exigeant que le développement de ces dernières se déroule sur le territoire national.

Dans le domaine de l’environnement, les Allemands investissent beaucoup en R&D, notamment dans la méthanisation, procédé qui permet en additionnant de l’eau et du CO2 de produire du méthane. La France n’est pas en pointe dans cette matière alors que la production de méthane par ce biais permettrait de fournir 15 % du réseau de gaz. Ce projet n’est pas viable immédiatement mais il pourrait l’être dans cinq à dix ans. Encore une fois, les Allemands y consacrent des moyens conséquents sans exigence de rentabilité à court terme. Ce sont des projets à la fois respectueux de l’environnement et susceptibles de maintenir des outils de production et d’apporter des brevets qui pourraient s’avérer rentables.

M. Norbert Cima, CCE ArcelorMittal Atlantique et Lorraine. Je ne vous rappellerai pas que l’Europe s’est construite sur le charbon et l’acier. Nous espérons une politique industrielle européenne pour faire face à la concurrence sauvage que nous subissons de Chine et d’Indonésie. La commission d’enquête doit être une force de proposition, guider le Gouvernement et imposer une véritable politique industrielle française afin de faire oublier les volte-face qui n’ont apporté que confusion et désarroi.

M. Éric Cruchet, secrétaire général de la Fédération nationale CFTC des syndicats de la métallurgie et parties similaires (FM-CFTC). Il est difficile d’intervenir en dernier. La CFTC se réjouit de la création de cette commission d’enquête et souhaite vivement qu’elle donne lieu à des actes forts et non à un énième rapport finissant dans un tiroir.

L’industrie sidérurgique s’apparente au cadavre qui bouge encore. Le leadership français a disparu laissant la place à la mainmise de fonds de pension recherchant avant tout une forte rentabilité. Outre l’absence de véritables capitaines d’industrie porteurs d’une vision à long terme, on constate un désengagement flagrant dans la R&D ainsi qu’un manque de confiance et d’espoir de la part des salariés, qui entraînent une perte de compétence et de savoir-faire.

L’industrie souffre aussi d’un important déficit d’image. Il sera difficile de convaincre les salariés de s’engager dans cette voie s’ils n’ont pas l’assurance de trouver un emploi pérenne.

Plusieurs freins ont été évoqués : le coût de l’énergie dans le cas de l’aluminium, l’environnement qui est certes une force de l’Europe mais qui impose des contraintes aux seuls Européens et pas à nos concurrents.

Il existe de nombreuses petites fonderies très spécialisées, indépendantes mais qui ne savent pas travailler ensemble pour répondre aux besoins des donneurs d’ordre. Elles vivotent sur des niches. Le problème de la reprise de ces petites entreprises va se poser dans les prochaines années si l’on veut éviter qu’elles ne tombent entre les mains de fonds de pension étrangers.

Une enquête évalue les besoins en recrutement à 120 000 personnes par an dans la métallurgie. Parallèlement, le nombre de salariés va diminuer de 1,5 à 1,3 million. Le paradoxe de la métallurgie tient donc à ce qu’on détruit des emplois alors qu’on a besoin de recruter. Nous sommes inquiets pour l’avenir de la métallurgie. A-t-on le droit de mentir aux salariés ou de proposer des perspectives d’avenir ? Nous croyons que notre responsabilité est de proposer des perspectives mais pour quel avenir ?

Nous proposons la création d’une véritable filière de branche de l’industrie avec des droits et des devoirs. Il y a encore trop de frontières étanches entre les filières. Nous souhaitons la mise en place de passerelles permettant de garantir des emplois, une mutualisation des formations et un renforcement de l’apprentissage dès quinze ans. Enfin, nous souhaitons qu’une véritable filière de recyclage puisse voir le jour.

M. Alain Bocquet, rapporteur. Je vous remercie pour vos contributions très argumentées qui font part d’un diagnostic sérieux et de propositions intéressantes pour nos travaux.

Quels arguments pourrions-nous avancer sur la nécessité de lutter contre les importations de pays à bas coût en réponse à ceux qui considèrent ce problème comme marginal ? Avez-vous des exemples concrets qui pourraient nous être utiles en la matière ?

Où en sont les négociations sociales dans vos branches et vos entreprises en matière d’emploi, de rémunération et de formation ?

Le sujet de la formation et de l’attractivité de l’industrie a été régulièrement soulevé dans nos auditions. Il est vrai que nous devons réparer trente années de stratégie post-industrielle au cours desquelles une culture hostile à l’industrie s’est installée. Comment convaincre concrètement les jeunes de l’attractivité de l’industrie ?

La stratégie patronale, surtout dans le cas d’ArcelorMittal, de mise en concurrence des sites industriels a-t-elle eu raison de la solidarité syndicale ?

Quels sont les savoir-faire qui menacent d’être abandonnés dans la métallurgie comme dans la sidérurgie ?

Enfin, quel est l’état de la recherche et développement ?

M. Philippe Baumel. Au plan européen, les organisations syndicales sont-elles porteuses d’une vision partagée de ce que pourrait être une politique européenne alors que celle-ci fait aujourd’hui défaut ou au mieux se résume à une politique de la porte ouverte aux productions à bas coûts sociaux – c’est un euphémisme ?

S’agissant des jeunes, les efforts en faveur de la formation aux métiers industriels ne sont pas toujours récompensés : j’ai l’exemple dans ma circonscription d’un BTS sur la déconstruction des premières générations de centrales nucléaires que, trois ans après sa création, le rectorat a décidé de fermer faute de jeunes intéressés.

Quels outils de formation doivent selon vous être privilégiés et à destination de quel public pour renforcer l’attractivité de l’industrie?

M. Michel Liebgott. À l'opposé du discours patronal, vous considérez unanimement qu’il n’y a pas de problème de surcapacité et que l’on peut retrouver un niveau de production. La question des surcapacités se pose aussi en Chine où elles sont estimées à 200 millions. Est-il pertinent pour l’Union européenne d’interdire l’importation de produits, comme le font les États-Unis et la Chine, alors que la question posée est celle de la répartition de la production d’acier dans le monde ?

La coordination syndicale au niveau européen n’est-elle pas en retard par rapport à la stratégie des entreprises ? Quelles questions devons-nous poser au commissaire européen sur la politique que doit mener l’Europe demain pour protéger les sites industriels qui vous semblent menacés ?

Au-delà de la sidérurgie dite des commodités, quels sont les outils à développer en matière de recherche et développement pour assurer la pérennité de la sidérurgie européenne ? On évoque une sidérurgie de niche. Les outils industriels sont-ils, selon vous, performants et en état ou nécessitent-ils des investissements importants ?

M. Gaby Charroux. Je vous remercie pour vos propositions. Je me réjouis de vous entendre parler, malgré vos inquiétudes, de développement industriel et d’avenir quand les dirigeants d’entreprises nous parlent de finance internationale. Comme dans la chimie et la pétrochimie que l’on connait bien dans ma circonscription, la stratégie à l’œuvre tient compte de la finance et peu de la production industrielle.

Je m’interroge sur trois points : quels peuvent être la stratégie industrielle, la place de la France et l’implication de l’État ?

L’intitulé de la commission d’enquête vous confirme notre ambition de faire des propositions qui pourront s’inspirer de vos remarques. Je partage les préoccupations exprimées sur la formation et l’image de l’industrie dans notre pays. Mais je suis persuadé que dans certaines circonscriptions où la culture de la production industrielle demeure vivace, il n’est pas trop tard pour convaincre les enfants des vertus de l’industrie et trouver ainsi les forces et les compétences pour faire vivre demain ces beaux métiers.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Quel est l’état de votre réflexion sur la stratégie industrielle ? Quelles sont vos propositions s’agissant, d’une part, de la formation aux différentes filières de branche et, d’autre part, des différentes étapes de la formation ? Comment conforter la solidarité syndicale et faire en sorte que vous soyez en mesure de porter un message d’avenir au niveau européen ? Il est en effet nécessaire de rassembler nos forces pour nous mobiliser. Enfin, compte tenu des contraintes auxquelles ce secteur est confronté, avez-vous également des propositions à nous faire quant au nécessaire réajustement de nos importations ?

M. Christian Hutin. L’État et la Nation ne sont plus maîtres chez eux : voilà sans doute ce que constatent les députés ayant activement participé à cette commission d’enquête, comme le confirment d’ailleurs vos propos. Or, si nous ne disposons plus des moyens d’influer sur la prise de décision, peut-être cette commission d’enquête permettra-t-elle de rééquilibrer le balancier, qui se trouve actuellement en faveur d’une impuissance de l’État et du Parlement.

Ainsi que je l’ai rappelé la semaine dernière, un ancien Secrétaire d’État américain au commerce extérieur expliquait un jour à M. Montebourg que lorsque les États-Unis souhaitent adopter des mesures protectionnistes à l’encontre des Chinois, ils appliquent un taux de 250 % à leurs importations de panneaux photovoltaïques. Et lorsque, au bout de dix jours, apparaissent les premières mesures de rétorsion, l’application de ce taux de 250 % leur permet de négocier. Les Européens, eux, n’appliquent qu’un taux de 5 % – dans l’indifférence totale des Chinois. Cette semaine encore, M. François Hollande a demandé à la Commission européenne de surtaxer leurs panneaux photovoltaïque – ce qu’a refusé l’Allemagne, qui souhaite conserver de bonnes relations avec la Chine.

Quels rapports entretenez-vous avec les confédérations syndicales des pays européens voisins ? Partagez-vous des combats et des volontés ? Pourriez-vous nous indiquer les lieux où sont réalisés des investissements, ceux où il n’y en a pas ou plus et ceux où ce ne sont que des faux ? Disposez-vous d’informations quant à la structure de la pyramide des âges dans ce secteur ? On annonce par exemple un certain nombre de recrutements à Dunkerque mais ils sont loin de compenser l’ensemble des places dont on nous parle régulièrement.

Mme Michèle Bonneton. Comment percevez-vous l’état de votre outil de travail ? En dehors de la R&D, quels investissements primordiaux conviendrait-il de développer en faveur de cet outil – aussi bien pour les productions en volume que pour les productions de niche ?

Mme Édith Gueugneau. La stratégie des grands groupes suscite une grande inquiétude dans notre pays : dans quelle mesure vos syndicats se coordonnent-ils aux niveaux national et européen pour y faire face ?

Alors que plusieurs représentants de l’usine d’Aperam à Gueugnon sont confrontés à un plan de revitalisation, les visées de ce groupe sur un site situé en Italie risquent de déstructurer nos entreprises françaises. De quels moyens d’action disposez-vous et qu’attendez-vous de l’État ?

On observe dans nos territoires ruraux une certaine fidélité au travail, la transmission d’un savoir-faire de génération en génération et la véritable volonté d’y demeurer. Et si nous mentionnons les métiers, la formation et l’orientation dès le collège dans la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école votée aujourd’hui, c’est qu’il importe que l’entreprise se rapproche au maximum des jeunes. Ses salariés, en particulier, constituent les meilleurs ambassadeurs de ces beaux métiers qu’il convient de valoriser, surtout s’il s’avère que 300 000 emplois ne sont pas pourvus dans le secteur.

Mme Véronique Roche, déléguée syndicale centrale CFE-CGC et secrétaire du comité d’entreprise européen de Rio Tinto. Nous ne pourrons rendre les métiers de l’industrie plus attractifs qu’en en valorisant les différents matériaux sur les plans environnemental et sanitaire ainsi que dans le périmètre géographique le plus large possible sur notre territoire : que les Français aient notamment peur de l’aluminium aujourd’hui ne risque pas d’attirer les jeunes de demain vers nos filières.

Et si l’on souhaite redonner confiance aux jeunes, souvenons-nous que bien qu’ils restent attachés à leur territoire, mais qu’ils n’ont sans doute pas envie de revivre ce qu’ont vécu leurs parents et leurs grands-parents. Si les jeunes qui suivent un BTS dans une grande ville, comme par exemple à Orléans, ne bénéficient pas des aides nécessaires pour se loger et se déplacer, ils n’auront pas les moyens de faire un stage dans une usine à Saint-Jean-de-Maurienne. Il conviendrait donc sans doute de rapprocher les centres de formation de nos centres de production. Il revient au collectif gérant l’entreprise de définir les besoins en emplois avec l’Education nationale et à cette dernière de se servir des ressources de l’entreprise pour définir ces besoins sur les territoires, à proximité des lieux de production.

En matière de dialogue social, il existe des coordinations aux niveaux national, européen et mondial. Ainsi ai-je participé l’an dernier au rassemblement mondial qui s’est déroulé à Alma à la suite du lock-out de Rio Tinto. Et je me rendrai dans une quinzaine de jours en Afrique du Sud pour un nouveau rassemblement. Notez que les problèmes diffèrent d’un pays à l’autre selon le système de dialogue social en place et les lois qui le réglementent. Ainsi, dans certains pays d’Europe de l’Est, les grands groupes, parce qu’ils considèrent ce dialogue comme un frein à leur développement, font pression sur leurs salariés pour les empêcher de se rassembler ou de s’exprimer. Et en France, bien que le droit du travail encadre la pratique syndicale, les grands groupes ne comprennent pas que ce dialogue social apporte une certaine valeur ajoutée dans la mesure où nous jouissons en tant que travailleurs d’une bonne connaissance du travail à faire mais pas des enjeux financiers qui le sous-tendent. C’est pourquoi ces grands groupes ne nous associent pas suffisamment à leur action et nous ôtent les moyens de nous réunir. Ainsi les organisations syndicales ne peuvent-elles se réunir qu’une fois dans l’année dans certains grands groupes du secteur de la transformation. Chez Rio Tinto, en revanche, les sujets à traiter sont tellement transversaux que nous parvenons à nous rencontrer tous les mois.

Au niveau de la branche, dès lors que les employeurs axent exclusivement le dialogue social sur des questions de nécessités économiques – qui diffèrent d’ailleurs entre les très petites entreprises (TPE), l’artisanat et l’industrie –, celui-ci ne peut porter sur le contrat de génération ni la pénibilité. Or, les jeunes s’étant rendu compte de la manière dont leur famille a été saccagée, comment voulez-vous qu’ils reviennent travailler dans la production d’aluminium et de la chimie à moins que nous ne le reconnaissions ?

Quant à l’état de notre outil de travail, nous subissons à Dunkerque une forte pression à la baisse de nos coûts de production. Tout étant bon pour y parvenir, nous achetons donc désormais notre matière première en Chine. Or les Chinois ne payent pas de taxe carbone lorsqu’ils exportent ces matériaux jusqu’à Dunkerque. Et cette matière première est de si piètre qualité que la production est elle-même mauvaise, à tel point que nous la renvoyons en Chine pour en faire de la ferraille – mais pas de l’aluminium ! Voilà un bon exemple de compétitivité.

M. Philippe Bonnot, responsable syndical CGT Aperam (filière Inox). Bien que la situation d’Aperam à Gueugnon ne soit qu’un exemple régional, sans doute peut-on le transposer assez largement à toutes les entreprises ici représentées aujourd’hui dans le secteur de la sidérurgie. La CGT d’Aperam entretient bien entendu des contacts avec des collègues syndicaux européens. Nous disposons de moyens administratifs par l’intermédiaire des comités centraux et des comités d’entreprise européens. Malheureusement, lorsque nous formulons des propositions d’évolution, les élus du personnel – que ce soit au niveau des comités d’entreprise, des comités centraux d’entreprise ou des comités européens – n’ont qu’un pouvoir d’information. Vous, mesdames et messieurs les députés, qui avez été élus par le peuple français, avez la possibilité de légiférer. Nous, les élus du personnel, avons certes le droit de donner notre avis mais il n’a de valeur que consultative. Il convient donc de nous conférer les moyens d’intervenir au cœur des entreprises et des groupes.

Faire changer les lignes, cela ne consiste pas uniquement à fermer les frontières européennes ou à instaurer des taxes mais à changer le système. Car en fermant ces frontières, il est possible que nous devenions plus compétitifs sur un point particulier. Mais si nous laissons les seules responsabilités des entreprises stratégiques à des capitalistes tels que Lakshmi Mittal, nous ne ferons que freiner les choses. Il est donc nécessaire de permettre à l’État et aux organisations syndicales de prendre part aux grandes décisions.

Quant à l’éventuel rachat du site de Terni par Aperam, j’ai lu dans la presse que la décision n’était pas encore arrêtée. À la CGT, nous sommes donc en train de prendre contact avec nos camarades italiens et essayons de ne pas nous mettre en concurrence avec les 2 800 salariés de Terni. Il est tout à fait bénéfique que nous cherchions à instaurer une coopération afin que la décision finale n’ait pas d’impact social sur les travailleurs de Terni ni d’Aperam. Gueugnon et Terni ne sont pas des sites en concurrence. C’est pourquoi nous nous efforçons, en lien avec les syndicats et personnels, de remettre en cause le rapport de force – seul réel moyen d’intervenir dont nous disposions –, de faire prendre conscience de la nécessité pour nous de coopérer, et de relayer nos positions par le biais de cette commission d’enquête, afin qu’elles soient prises en compte au niveau législatif.

S’agissant du fonctionnement interne de ces groupes, des personnes telles que Lakshmi Mittal y trichent tous les jours en pratiquant la fraude aux accidents du travail : les personnes qui se blessent subissent en effet fréquemment des pressions afin d’éviter que des accidents du travail ne soient déclarés. Or les entreprises qui fraudent bénéficient par ailleurs de subventions.

Enfin, en ce qui concerne l’embauche, il est évident que nous devrions rendre nos métiers plus attractifs. Une telle attractivité ne sera cependant effective que si l’on cesse de détruire des emplois à longueur d’année : pour le seul site de Gueugnon, nous étions encore plus de 1 200 salariés il y a cinq ou six ans ; or, nous ne sommes plus que 800. Même si une convention de revitalisation a été conclue dans le secteur à la suite d’un plan social, pour trouver des personnes à embaucher, il ne suffit pas de proposer des formations ; encore faut-il aussi que les gens sachent qu’ils pourront peut-être trouver un travail. Or, ils n’en ont absolument pas la garantie.

M. Frédéric Souillot. Il est évident que l’employeur est fortement tenté de nous mettre en concurrence les uns contre les autres : ainsi, en plein milieu du conflit entre Florange et Dunkerque, la direction de Dunkerque indiquait que la fermeture du site de Florange renforcerait l’activité à l’usine de Dunkerque. Et demain, on en fera autant avec Fos, l’Espagne ou l’Algérie – un client de Dunkerque qui sera en partie nationalisé. Or, comme les Algériens feront vœu de préférence nationale pour l’acier, ils le produiront chez eux plutôt que de l’importer de Fos.

Quant à la stratégie industrielle, en l’absence de participation de l’État ou de contrôle de celui-ci sur les aides accordées aux groupes, leur financiarisation se poursuivra. Car la seule chose qui intéresse les industriels est de réaliser des profits à court terme, et rien d’autre. La Banque publique d’investissement doit également soutenir les investissements industriels de long terme et ne peut agir comme une banque normale en ne soutenant que des investissements à court terme, à horizon de trois à cinq ans : une telle durée vaut pour des petites et moyennes entreprises mais dans l’industrie, elle ne permet ni d’emprunter ni d’obtenir des soutiens.

En ce qui concerne la formation, il est vrai que nos métiers ne sont pas attractifs. Mais cela ne date pas d’aujourd’hui : il y a trente ans déjà, nous avons décidé de passer à une ère postindustrielle axée sur les services. Nous avons alors tous voulu que nos enfants deviennent banquiers – ceux-là mêmes qui nous écrivent le lendemain pour nous signaler un découvert. Nous pensons pour notre part que pour renforcer cette attractivité, il conviendrait d’imposer aux grandes entreprises le recrutement obligatoire d’un pourcentage d’emplois en alternance mais aussi de soutenir toutes les petites entreprises sous-traitantes et co-traitantes – dans la mesure où un emploi industriel génère quatre autres emplois chez les sous-traitants, parfois sur le même site. L’Education nationale doit donc essayer d’orienter les élèves dès treize ou quatorze ans vers les métiers de l’industrie, par le biais des centres de formation d’apprentis (CFA) et centres de formation d’apprentis de l’industrie (CFAI). Il est vrai que les jeunes sont souvent attachés à l’entreprise dans laquelle ont travaillé leurs parents, sauf si elle les a mis dans la misère. Originaire moi-même de Bourgogne, je travaillais en 1992 chez Thomson, à l’époque où l’on a voulu donner cette entreprise pour un franc symbolique aux Coréens. Il y reste aujourd’hui 160 emplois contre 7 000 à l’époque. Lorsque les enfants de mes collègues ont terminé l’école, ils n’ont surtout pas voulu retourner à l’industrie dans la mesure où leurs parents y avaient été licenciés, avaient dû revendre leur maison, où jamais leur mère n’a retrouvé de travail et où leur père n’y est difficilement parvenu qu’en intérim.

S’agissant de la coordination européenne, nous sommes au moins trois personnes ici à siéger au Conseil du dialogue social du Comité Acier tenu par Antonio Tajani. Nous sommes d’accord pour réintroduire un certain protectionnisme dans le secteur industriel. Nos collègues allemands d’IG Metall se font quelque peu tirer les oreilles mais y vont bon an mal an. Mais le Commissaire européen au commerce s’y oppose. La dernière fois que nous avons rencontré Antonio Tajani, il fut plutôt question avec le plan Acier de soutenir l’aval – par exemple l’automobile – pour faire survivre l’amont : or, plusieurs d’entre nous ne sont pas d’accord avec ce point de vue. La mesure adéquate consisterait à fixer à 20 ou 25 % la part de l’industrie dans le PIB européen. Nous sommes donc tous à peu près d’accord sur l’idée du protectionnisme, à l’exception des Allemands.

Mme Christèle Touzelet, déléguée centrale CFDT (Industeel France). Nous avons été conviés à cette audition afin de faire état de la situation économique, industrielle et sociale d’Industeel France, société tout à fait représentative des inquiétudes liées à l’emploi et à la pérennité des sites. Faisant partie du groupe ArcelorMittal, nous sommes rattachés à sa branche « Flat carbone » : Industeel est spécialisée dans la production d’aciers spéciaux dans une gamme de produits plats de 16 à 100 tonnes et de produits lingots de 5 à 250 tonnes l’unité. Industeel ne fabrique pas de gros volumes en tonnage mais des produits haut de gamme, complexes et à forte valeur ajoutée – une activité qui nous a placés au rang de leader mondial jusqu’en 2009. Industeel regroupe les sites du Creusot, de Châteauneuf et de Saint-Chamond. La spécificité du site du Creusot réside dans le fait que nous y travaillons en partenariat avec Areva qui a investi dans notre aciérie pour la fourniture de gros lingots de 250 tonnes nécessaires à la fabrication d’EPR. Quant à nos effectifs, Industeel France compte, à ce jour, 1 175 salariés dont 820 au Creusot et 300 à 350 sur la Loire.

En 2007-2008, Industeel France a réalisé de très bons résultats car elle n’a subi que très peu de concurrence. En 2009, face à la crise, les producteurs de volume sont entrés sur nos marchés de niche qu’ils avaient négligés pendant les années de croissance. Au cours de cette période de crise, nos concurrents ont privilégié l’investissement pour se placer sur nos marchés alors qu’Industeel France a seulement investi dans l’augmentation de volume à Châteauneuf en 2010. Notre centre de recherche traite principalement des problèmes de qualité et de process de fabrication, au détriment de la recherche et du développement de produits nouveaux.

Contrairement à nos concurrents, entre 2009 et 2012, Industeel France fut la seule entreprise à verser à son actionnaire Mittal des dividendes supérieurs à ses investissements, malgré la baisse d’activité enregistrée. À cette même période, le site du Creusot a subi un plan de départ volontaire décliné par ArcelorMittal ayant entraîné le départ de 115 salariés et ce, sans transfert des compétences. À ce jour, ce plan demeure l’un des points négatifs reconnus par nos dirigeants.

Entre 2011 et 2012, l’activité d’Industeel France semblait fébrilement reprendre. Mais en septembre 2012, l’annonce subite du manque de compétitivité des aciéries, qui a conduit à la réalisation d’une étude de réduction de nos coûts et, parallèlement, la baisse brutale d’activité ont fait craindre un éventuel transfert de production et la fermeture de l’une de ces aciéries. En janvier 2013, après la remise du rapport du cabinet d’experts missionné sur le sujet, la direction générale de l’entreprise a fait marche arrière et annoncé qu’aucune étude n’avait été faite dans la mesure où, compte tenu de la charge additionnelle pour Le Creusot et Châteauneuf, l’aciérie du Creusot ne pouvait absorber la production de Châteauneuf. Il a en revanche été clairement annoncé que si Châteauneuf descendait en dessous de 40 000 tonnes annuelles d’acier liquide, la question de la fermeture pourrait à nouveau se poser.

Depuis ces annonces, Industeel au Creusot et à Châteauneuf ne cessent de voir baisser leur activité. Or, malgré une concurrence de plus en plus agressive, la politique de notre direction consiste à conserver les mêmes marges, quitte à continuer de perdre des parts de marché. Il s’ensuit depuis septembre 2012 une baisse d’activité nous ayant conduit à subir une voire deux semaines de chômage par mois dans certains secteurs, ce qui revient en fait à maintenir son niveau de profit en recourant aux aides publiques.

Industeel n’a-t-il pas pu, su ou voulu préserver ses parts de marché ? Cette baisse d’activité n’est-elle pas maintenue afin de justifier la fermeture de l’aciérie de Châteauneuf ? L’investissement dans l’augmentation de capacité de Châteauneuf n’a-t-il été qu’une erreur de stratégie ? À ces questions s’ajoute celle des diminutions d’effectifs : les premiers à avoir été concernés par cette forte baisse d’activité ont été les titulaires d’emplois précaires ainsi que les sous-traitants locaux. Et nous ne disposons aujourd’hui d’aucune garantie quant à l’anticipation des départs à la retraite sur cinq ans alors que ceux-ci représentent 23 % de l’effectif global de l’entreprise. Nous sommes très inquiets qu’aucun moyen n’ait été déployé pour assurer la capitalisation et la transmission du savoir-faire.

Malgré la volonté, dans chaque établissement, d’assurer une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, les autorisations d’embauche se raréfient et la tendance annoncée est à la diminution des effectifs de structure. Il est en effet prévu une réduction de 4 % par an des effectifs pour compenser l’inflation et ce, quel que soit le volume de production. Cela est-il tenable compte tenu des pertes de compétences ? Il s’agit là d’une véritable mise en danger de l’entreprise car si l’activité reprenait, nous pourrions nous retrouver dans la situation d’avoir du travail mais sans les compétences nécessaires pour l’effectuer. Vous comprendrez donc que nos représentants du personnel de même que nos salariés soient très inquiets quant à la pérennité de nos emplois et de nos sites et à la politique initiée par ArcelorMittal sur l’ensemble d’entre eux.

M. Patrick Auzanneau, délégué central CFDT ArcelorMittal. Si les jeunes ne sont pas forcément intéressés par nos métiers, c’est d’abord parce que les conditions de travail sont dures dans le secteur de la métallurgie et encore davantage dans le secteur de la sidérurgie – dans les métiers du chaud comme dans les aciéries et les hauts-fourneaux, notamment – où la majorité des emplois qui sont proposés supposent de travailler le week-end et les jours fériés puisque les usines tournent 365 jours par an. En outre, l’évolution de carrière y est relativement plate pour la majorité d’entre eux.

Je partage l’idée que les centres de formation doivent être implantés à proximité des lieux de production, mais ce n’est pas forcément parce que ce n’est pas le cas que les centres ne se remplissent pas : lors de la fermeture de Gandrange en Lorraine, en contrepartie, un CFAI a été mis en place à Yutz – tout à proximité des usines sidérurgiques de Lorraine. Or, s’il s’est plutôt bien rempli la première année, c’est une catastrophe cette année-ci : au mois de juin, alors que nous en arrivons quasiment à la fermeture des inscriptions, celles-ci ne correspondent même pas à la moitié de notre potentiel de formation. Car lorsqu’on explique aux jeunes que même s’ils s’inscrivent dans un centre de formation, ils ne seront pas embauchés par l’entreprise qui les forme, comment pourraient-ils en avoir envie ? Il conviendrait d’imposer des règles claires aux entreprises qui, actuellement, font travailler ces jeunes gratuitement pour la plupart, les faisant remplacer des salariés en contrat à durée indéterminée.

Ayant visité un centre d’apprentissage avec des amis de l’IG Metall lors d’un déplacement en Allemagne, j’ai constaté que le système y est complètement différent du nôtre : ces centres se trouvent en effet dans l’entreprise et les jeunes qui s’y forment ont la garantie d’obtenir un emploi au terme de leur formation. Ce sont en effet les entreprises qui déterminent en fonction de leurs besoins le nombre de personnes à former. Nous, en revanche, formons à des métiers qui ne sont pas nécessairement demandés par les entreprises puisque nous offrons des formations très générales et non spécialisées.

Aujourd’hui, lorsqu’il y a du travail, les entreprises embauchent des intérimaires – souvent des jeunes sans qualification d’ailleurs – payés au lance-pierre. Et en période de creux, on licencie. Le système ne permet donc plus d’offrir des contrats à durée indéterminée comme par le passé.

Enfin, lorsque des salariés partent à la retraite, ils sont très peu remplacés. On crie victoire chez Arcelor lorsque des embauches sont annoncées à Dunkerque ou à Fos, sauf que lorsque l’on embauche 200 personnes, il y a 400 départs à la retraite ! Ce n’est pas ainsi que l’on pérennisera ces installations.

M. Jean-Michel Boqueret, responsable syndical CGT Constellium (filière Aluminium). Je présenterai deux exemples concrets des risques de disparition ou de diminution des programmes de R&D.

Le premier concerne la vente de l’usine de Saint-Jean-de-Maurienne par Rio Tinto, qui risque d’entraîner la séparation du laboratoire et de l’usine,  et donc d’isoler ce centre de recherche. Le problème lié à la recherche et à la vente de technologie menées par Rio Tinto sur le site de Voreppe demeure lui aussi sans réponse, d’autant plus qu’il est fort probable, dans un avenir proche, que Rio Tinto se désengage complètement du secteur de l’aluminium primaire en France. On peut en effet supposer que le groupe appliquera le même remède à Dunkerque qu’à Saint-Jean-de-Maurienne. Or il ne nous paraît pas possible de poursuivre la R&D dans un pays où un groupe n’a plus aucune assise industrielle. Il convient donc, selon nous, d’adosser la R&D restant en France aux deux sites industriels français de Dunkerque et Saint-Jean-de-Maurienne. Car, si depuis 2005 et le rachat de Pechiney par le Canadien Alcan, une bonne partie de cette recherche a traversé l’Atlantique, nous continuons à disposer de compétences de recherche développées et qui ont fait leurs preuves. Pechiney demeure en effet le principal producteur d’aluminium dans de nombreuses parties du monde et 80 % des usines d’aluminium de la planète ont été conçues à partir de la technologie française créée et brevetée à Saint-Jean-de-Maurienne.

Le second exemple est celui de Constellium : délaissant aujourd’hui certaines activités, le groupe a récemment décidé de céder son activité française d’extrusion bâtiment, qui se situe dans deux établissements : l’un à Ham, dans la Somme, et l’autre à Saint-Florentin, dans l’Yonne. Ces sites, qui ont toujours été secondés par des centres de recherche et des compétences d’assistance technique, se retrouveront demain isolés puisqu’ils seront rachetés par un fonds financier qui ne leur présentera pas de synergie avec d’autres activités ni aucune possibilité de continuer à bénéficier d’une assistance technique et d’une R&D dignes de ce nom. Surtout, rien n’oblige le repreneur ni le vendeur à assurer cette prestation à ces usines.

Quant au thème du dialogue social, les entreprises du jeune groupe Constellium – qui n’a que deux ans à peine – ont toujours appartenu auparavant à de grands groupes industriels. Elles sont donc marquées par une forte culture de dialogue social. Or, l’actionnaire majoritaire de Constellium est un fonds financier qui se moque éperdument de ce dialogue si bien qu’en deux ans, le traitement des organisations syndicales et des instances représentatives du personnel a radicalement changé, celles-ci ne bénéficiant plus d’aucune information. Cela nous fait un drôle d’effet compte tenu de notre longue expérience en la matière. C’est désormais par les médias que nous apprenons le devenir ou la cotation en bourse de notre groupe ou encore la répartition de son capital !

M. Walter Broccoli. L’an dernier, 60 000 tonnes d’acier ont été importées de Russie en France via Fos-sur-Mer. Il s’agissait d’importations ponctuelles car nous étions dans l’impossibilité de produire pour nos clients le matériel demandé. Cela veut donc dire que si le site de Dunkerque se trouve incapable de nous fournir, Mittal importera ponctuellement de l’acier depuis l’extérieur de l’Europe. En juillet 2011, celui-ci ayant décidé d’augmenter de 18 % ses prix sur l’acier d’emballage, nous avons perdu 30 à 40 % de parts de marché en quelques semaines : les Italiens, par exemple, ont annulé leur contrat et acheté des produits chinois.

Étant donné la crise actuelle, il existe bel et bien une forme de concurrence entre nos différents sites en France et en Belgique, même s’il est certain que la crise vécue à Dunkerque est d’un tout autre ordre que celle de Florange. Une fois le plan industriel de Mittal mis en place, la première réaction à chaud a été de dire qu’à cause de Florange, d’autres outils allaient être arrêtés.

Si nous ne sommes plus maîtres chez nous, c’est parce que nous avons laissé faire M. Mittal ! Il existe en France des entreprises de recouvrement qui rachètent les dettes aux banques pour ensuite aller réclamer leur dû aux particuliers. Pourquoi ne pas racheter la dette de 18 milliards d’euros de M. Mittal et lui réclamer les 16 milliards qu’il a empochés ? Lorsque j’ai parlé pour la première fois de nationalisation à Bercy, on m’a regardé de travers pour ensuite se dire que ce n’était pas une mauvaise idée – même si cela n’a finalement pas abouti. Creusez-la donc, cette idée !

Quant à nos outils sidérurgiques, ils sont en excellent état. Ce ne sont nullement des canards boiteux, comme l’affirmait M. Jouyet. Nous disposons en effet d’usines ultramodernes dont les cabines de commande ressemblent à des cabines de Concorde. Faites donc visiter ces usines aux jeunes afin qu’ils aient un aperçu de nos conditions de travail ! S’il est vrai que nos horaires sont difficiles, la pénibilité physique n’existe plus.

J’entends dire que la Banque publique d’investissement, la BPI, n’a pas pour rôle d’aider les grandes entreprises mais sachez que l’établissement de Florange fait travailler 150 entreprises extérieures – petites et moyennes. Donc, en aidant les grandes, on aide les petites !

M. Sylvain Rameau. Comme il existe trois sites importants travaillant les inox et les hauts nickels dans un rayon de 100 kilomètres, il serait possible de créer des synergies entre eux afin de développer des formations aux métiers de l’inox – même s’il conviendra sans doute d’y garantir le renouvellement des compétences – ainsi qu’aux métiers qui utilisent ce matériau, c’est-à-dire la chaudronnerie et la métallerie. Nous manquons effectivement en France de métalliers sachant utiliser et souder l’inox. Ce serait donc là un moyen pragmatique de redensifier la formation dans nos régions, sachant que les jeunes que l’on forme demeurent généralement sur leur lieu de formation. Des entreprises de métallerie pourraient ainsi essaimer sur nos sites en perte d’emploi.

S’agissant du cas de Terni-Aperam, il était question, dans le premier scénario de fusion des inox d’Outokumpu et de Thyssen, de fermer deux aciéries. Dans le second projet, sans doute les Allemands ont-ils exercé des pressions car il fut cette fois question de céder Terni. Nous nous retrouvons donc face à une alternative : soit Aperam peut acheter le site de Terni – à condition que l’on obtienne le visa de la Commission européenne – soit un producteur asiatique, coréen par exemple, le fera. Cette deuxième solution, véritable porte d’entrée en Europe pour les industriels asiatiques, ne serait guère bénéfique à nos sites européens. L’un des enjeux majeurs consiste donc sans doute à s’assurer que la Commission européenne accordera son visa.

Quant à la prise de participations, sans doute avons-nous la chance que comme pour le « Canada Dry », Aperam soit un peu ArcelorMittal mais pas tout à fait. La direction d’Aperam indique que si cette opération a lieu, ce sera grâce à un appel aux marchés – c’est-à-dire aux capitaux extérieurs. Voilà sans doute une opportunité intéressante. Reste à savoir comment négocier et gérer cette prise de participations.

À l’heure actuelle, les importations chinoises bénéficient dès le départ d’un avantage de 200 euros à la tonne grâce au coût des matières premières qu’elles utilisent et dont l’élaboration, réalisée en Chine, est extrêmement polluante. Nos entreprises risquent donc d’exercer une pression sur nos fournisseurs de nickel afin qu’ils trouvent d’autres voies d’élaboration de ces matières premières qui seront tout aussi polluantes – car ne faisant pas appel à la R&D. Nous encourons donc un risque d’exportation de pollutions.

Quant à limiter ces importations, je rappelle que sur le marché européen, elles s’élèvent à 25 % pour l’inox qui est un matériau à forte valeur ajoutée. Elles se sont accélérées dernièrement car le marché chinois est déprimé. Peut-être le facteur coût entraînera-t-il une augmentation du prix des plats carbones et d’autres matériaux. L’un des moyens de l’éviter consisterait à faire payer à la Chine le CO2 émis lorsque ses produits pénètrent les frontières européennes.

M. Xavier Le Coq. Concernant la formation, si l’on souhaite attirer les jeunes vers l’industrie, encore faudrait-il que les conseillers d’orientation des lycées sachent ce que c’est. Et si les centres de formation constituent une possibilité d’entrer dans l’industrie, les stages réalisés par les étudiants en BTS en sont une autre. Ce n’est donc qu’en appliquant une véritable politique de stages – c’est-à-dire en indemnisant un minimum les stagiaires recrutés, en les encadrant et en leur confiant de véritables tâches – que les entreprises susciteront chez les jeunes l’envie d’y faire carrière.

Quant à l’état global de nos installations, les usines d’Arcelor ont toutes bénéficié d’investissements, sauf celle de Florange, dont Guy Dollé, autrefois président-directeur général d’Arcelor – on ne parlait pas encore du tout de Mittal à l’époque car le groupe était tout petit – a décidé de fermer la filière liquide en février 2003. Les investissements ayant par conséquent cessé pendant des années dans cette filière, les installations en ont pâti à tel point qu’il aurait fallu injecter des centaines de millions d’euros pour les remettre en état. Pendant ce temps-là, le site de Dunkerque a rénové deux de ses trois hauts fourneaux : l’aciérie est y donc désormais extraordinaire.

Si l’on ne peut parler de concurrence entre les différents sites français, elle existe en revanche au niveau international. Aujourd’hui, l’acier de Fos ne parvient pas jusqu’en Lorraine car il a d’autres débouchés. Il peut certes arriver que l’on répartisse la production entre différentes Galva mais de toute manière, les clients différent d’un site à l’autre. Une concurrence très nette s’exerce en revanche vis-à-vis de certains pays très proches mais qui n’appliquent pas les mêmes règles que nous. Le PDG d’Arcelor il y a dix ans avait beau être français, il ne défendait pas la France. Dans le secteur des Flat carbons en revanche, ce sont des Flamands qui prennent les décisions. Et eux sont capables de défendre leurs propres usines.

Nous vous fournirons quelques exemples chiffrés en ce qui concerne les importations. Comme l’a souligné M. Michel Liebgott, le ralentissement de la croissance chinoise, passée de 12 à 6 %, a un impact considérable sur les capacités de production. La Chine risque ainsi d’être en mesure de pénétrer sur le marché européen – non pas de l’automobile, qui pose des problèmes de délai, mais sur d’autres produits. Il y a deux ou trois ans, les Chinois ont déjà importé des tonnes de produits d’emballage chez nos clients à un coût moindre que celui de notre production. Nous devons donc rester vigilants d’autant plus que les droits de douane applicables à l’acier importé en Europe sont inférieurs à 1 %.

Enfin, si l’on ne réagit pas, la filière packaging de Florange sera mise en danger, ce qui fragilisera le reste du site. Le projet en cours concernant le packaging est complexe mais nous avons tout intérêt à le faire réussir pour sauver l’ensemble de la filière.

Mme Marie-Claire Cailletau, responsable CGT des questions Energie à la Fédération nationale des mines et de l’énergie. Tout en partageant votre analyse du mythe de la société postindustrielle, la CGT considère également que ce n’est pas sur les ruines de l’industrie d’aujourd’hui nous ne construirons celle de demain. Si notre pays est celui qui se désindustrialise le plus en Europe, c’est parce que l’industrie n’offre pas la rentabilité de court terme à deux chiffres qu’exige la financiarisation de l’économie.

Quant à la recherche, elle constitue en matière industrielle un enjeu central dont tout le monde parle. Le Président de la République a d’ailleurs reconnu l’importance d’y consacrer 3 % de notre PIB, conformément à l’objectif de Lisbonne. Cependant, la réalité est tout autre : loin d’atteindre ce taux, la France reste un très mauvais élève en ce domaine – que ce soit en termes de masses financières, d’orientation des travaux de recherche, d’articulation entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée ou d’implication des industriels.

En matière environnementale, si la France doit demeurer un modèle, le facteur 4 est cependant largement compatible avec sa réindustrialisation. Car l’industrie, qui a déjà accompli des efforts importants et qui continue à en faire – comme en témoignent souvent les projets alternatifs proposés par les salariés, tels le haut-fourneau électrique –, se trouve loin derrière les secteurs des transports, du logement et de l’agriculture en termes d’émissions de CO2. En outre, notre désindustrialisation a entraîné un quasi doublement de nos importations de dioxyde de carbone au cours des dernières années. Et si la consommation d’électricité a diminué pour la première fois en France, c’est parce que les usines ferment.

Quant à l’énergie, son prix et sa qualité constituent un facteur de choix important dans la localisation des industries. La France doit donc conserver ses atouts en ce domaine. Ainsi, par exemple, à Saint-Jean-de-Maurienne, Rio Tinto s’est contenté de mettre la clef sous la porte au lieu de réaliser les investissements nécessaires à la modernisation de son appareil productif. De fait, les grands groupes appliquent aujourd’hui une stratégie consistant à se recentrer sur l’amont minier qui est beaucoup plus rentable. Ayant fait réaliser un audit sur les questions énergétiques, la CGT a constaté, d’une part, que le site serait rentable dès lors que le prix du mégawattheure s’élèverait à 35 euros – sachant qu’il s’élève actuellement à 38 euros grâce au tarif Exceltium qui sera supprimé en 2014. Et que, d’autre part, si l’on modernise le site en y installant des cuves plus économes de 20 % en énergie, il sera rentable à 42 euros le MWh, ce qui correspond au tarif de l’Agence régionale de l'environnement et des nouvelles énergies (ARENE).

La CGT a donc soumis il y a plusieurs mois au ministère un projet – sur lequel elle n’a encore reçu aucune réponse – permettant de réindustrialiser la région grâce à de nouveaux programmes d’équipement hydraulique. Un certain nombre de stations de pompage y sont effectivement implantées : ce type de stations constitue actuellement l’un de seuls moyens de stocker l’électricité – et ce, à un faible tarif et sans émettre de CO2 de surcroît. Or, il est encore possible d’en installer à plusieurs endroits en France. Conçus par EDF, ces projets n’ont finalement pas été développés au motif de la déréglementation et de la libre concurrence. C’est pourquoi nous les avons repris et fait réétudier par les ingénieurs. Nous proposons notamment d’installer de telles stations en Savoie – le profit dégagé permettant alors de revivifier notre région et de la réindustrialiser en conservant le site de production d’aluminium de Saint-Jean-de-Maurienne. Nous tenons à votre disposition ce projet baptisé « Hydralu » – qui « tient la route » sur les plans technique et économique.

Enfin, la transition énergétique nécessitera la production de davantage d’acier – notamment pour les transports et le logement. Il nous faut donc disposer de l’outil industriel correspondant.

M. le président Jean Grellier. Vos remarques sont au cœur de l’actualité puisque nous organisons cet après-midi une table ronde sur la transition énergétique après en avoir tenu une ce matin, et que deux de nos collègues – Marie-Noëlle Battistel et Éric Straumann – sont chargés d’un rapport d’information sur l’hydroélectricité. J’espère donc que vous avez pu leur transmettre cette proposition.

Mme Christiane Graillot, déléguée centrale Aperam. La pyramide des âges du groupe Aperam se caractérise par un personnel vieillissant. Le groupe a donc un besoin urgent de renouveler ses compétences et d’assurer une gestion prévisionnelle des emplois.

Il est vrai qu’il est difficile de rendre nos industries attractives sachant que l’on a plutôt tendance à supprimer des emplois que d’embaucher. De même, en doublant les frais, la distance géographique qui sépare les écoles des industries constitue également un obstacle à l’incitation des jeunes à suivre un apprentissage en alternance. Afin de les attirer, le site d’Imphy – qui est sans doute celui qui renouvelle le plus ses compétences dans le périmètre Aperam – a construit une école de formation intégrée à l’entreprise. Les enseignants s’y rendent donc directement pour prodiguer ces formations en interne – qui présentent d’autant plus d’intérêt qu’elles ne sont pas véritablement proposées dans les écoles. Il existait autrefois des centres d’apprentissage intégrés sur certains de nos sites – tels qu’à Gueugnon et à Imphy. Leur bon fonctionnement nous assurait que les personnes y étant formées auraient les compétences requises pour exercer nos métiers.

Nous avons cru que la création du groupe Aperam lui permettrait de réaliser des investissements – ce qui n’était que rarement possible lorsque les inox faisaient partie du groupe ArcelorMittal puisque l’argent était dépensé ailleurs. C’est donc avec tristesse que nous avons constaté que seuls deux investissements y avaient été réalisés, l’un, pour renouveler une ligne à Gueugnon, l’autre, pour étendre la capacité d’élaboration d’Imphy. Autrement, l’ensemble de nos installations sont vétustes et tombent régulièrement en panne. Et nous ne parvenons pas à disposer de suffisamment de temps ni de personnel pour former à la prévention sur des installations vieillissantes. Notre industrie ne pourra être performante que le jour où notre actionnaire majoritaire aura compris que nous ne pouvons progresser sans investissements.

M. le président Jean Grellier. Nous vous remercions tous pour la qualité de vos contributions et la sérénité de ce débat.

La séance est levée à treize heures dix.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Réunion du mercredi 22 mai 2013 à 12 h 15

Présents. - M. Alain Bocquet, Mme Michèle Bonneton, M. Jean Grellier, Mme Edith Gueugneau, M. Christian Hutin, M. Michel Liebgott, M. Alain Marty, Mme Marie-Jo Zimmermann

Excusés. - M. Gaby Charroux, M. Jean-Pierre Decool, Mme Jeanine Dubié, M. Jean-Yves Le Déaut